foutreciel
Un visage, des cheveux longs.
Hirsutes, mal domestiqués, ils tombent en vagues gelées sur des épaules fragiles. Puis tout change. La joliesse se mue peu à peu en quelque chose de plus bestial -un loup, une bête toute vêtue de ses instincts sauvages. La vulnérabilité s’échappe. La douceur s’enfuit. De sa beauté féline ne demeure que la gueule béante d’un animal animé par des inquiétudes qui te sont étrangères.
Tu es un étranger.
Tu émets un soupir fébrile et remues dans ce qui semble être un sommeil agité. Il est hanté par des souvenirs que tu chéries indéniablement. Tantôt ceux de la femme-loup aux prunelles couleur de perle, tantôt ceux d’un congénère qui peut s'enorgueillir de faire corps avec la forêt où tu l’as croisé. Bientôt, tes lèvres crachent le gémissement du condamné à mort. Celui, mince et pénible, qu’elles ont dessiné lorsque la lame a rencontré ta main. La chair y est encore d’un rouge vif.
« Foutreciel, pour qui est-ce que tu t’prends, gamine? » Tu râles et tu t’étires. Tu grognes. Tu roules nonchalamment sur ton tapis rèche. Tu y fais la sieste, souvent. Tu y as fait la sieste, aujourd’hui. Tu bâilles à t’en décrocher la mâchoire, allongé comme seul le bienheureux le peut.
« T’entends, Andrea? Papa fait un de ces cirques! » Tu hausses les épaules. Tu le connais, l’vieux. C’est son truc les problèmes. Si ceux qui chient sur la tête des gens vivent plus longtemps, nul doute que le père Lachaise -propriétaire de champs d’arbres fruitiers- frôlera le siècle du bout des doigts. L’idée t’arrache un sourire, surtout lorsque tu l’imagines avec ses rides sombres et ses dents aux abonnés absents.
Une magnifique gravure.
« Tu crois qu’tu peux m’voler comme ça, sous mes propres yeux? » Le môme à tes côtés se fend d’un rire âcre.
« Il a rien de propre le vieux, surtout pas ses yeux! » Tu tapotes le crâne du petit, à peine âgé de neuf ans et déjà aussi rustre que son paternel. Tu t’apprêtes à te lever lorsqu’une nouvelle voix émerge du silence. Celle d’un homme, à n’en pas douter. Alors tu écoutes, muet, toujours dissimulé dans la lourde chariote où tu passes tes rares pauses à pieuter.
« Excusez mon amie monsieur, mais elle n’a pas vraiment toute sa tête. Voilà pour vous. » Mais le vieux n’en démord pas. Il ne s’arrête jamais, une fois lancé.
« Je m’en fous d’tes pièces, morveux! Ta copine me balance des trucs à la gueule, c’est quoi ces manières? On est pas chez les sauvages ici! » Ta bouille se déforme de l’ennui, le vrai. Tu n’aimes pas ces sous-entendus. Les sauvages? Doucement, tu te coules hors de la charrette et te glisses derrière le vieillard voûté et mécontent. Ta main enserre son épaule et tapote gentiment.
« Tu fais peur aux clients, le vieux. » Il t’offre un regard où la lumière de colère diminue progressivement.
« Arrête un peu de brailler, r’garde! Même les poules fuient tes cris. » Je désigne les quelques cocottes qui trottent autour des échoppes branlantes. Tu te passes ensuite les phalanges dans la tignasse et pose des prunelles guillerettes sur le couple atypique. L’attirail de la jeune fille me laisse perplexe. D’où vient-elle? Les bois? C’est ce que paraît indiquer la fourrure qui réchauffe son dos.
« Pardonnez-le, le petit dernier de la famille a pris la poudre d’escampette avec le déjeuner. Cet homme est imbuvable s’il ne mange pas! » D’un coup de hanches, tu invites le maraîcher à tirer révérence, ce qu’il fait en maugréant.
« Cadeau de la maison. » Que tu ajoutes finalement en récupérant l’un des beaux fruits du tas pour le tendre au garçon.